Французська преса обговорює перспективи членства України в EU
10/30/2004 | Englishman
ANALYSE
Europe : après la Turquie, l'Ukraine ?
LE MONDE | 29.10.04
L'Ukraine est le prochain enjeu géopolitique de l'Union Européenne. Son avenir dépend d'abord de sa propre capacité à se réformer et à s'engager sur la voie d'un véritable développement économique et social.
La question de l'adhésion de la Turquie marque un tournant dans l'histoire, encore jeune, de l'Union européenne. Aucune perspective d'élargissement n'a jamais suscité autant de passions.
Avec l'ouverture hautement probable des négociations entre Bruxelles et Ankara s'ouvre une nouvelle phase, après celle dominée par les conséquences de l'écroulement de l'empire soviétique. Notre Communauté est passée de 12 à 25 membres (bientôt 27 avec la Roumanie et la Bulgarie, sans compter ultérieurement la Croatie). Elle a changé de nom et de nature.
La phase qui s'achève a également vu aboutir l'extraordinaire projet de la monnaie unique, stimulé par le sentiment que seul le succès d'une aussi grande entreprise permettrait de relever les défis du changement du système du monde.
La nouvelle phase sera dominée par le processus de digestion des gigantesques transformations des quinze dernières années. Les prochains mois seront largement occupés par le problème constitutionnel et par le destin du traité issu des travaux de la Convention présidée par Valéry Giscard d'Estaing.
A la date d'aujourd'hui, la probabilité d'une ratification par chacun des Vingt-Cinq est faible. Avant la prise de position de Laurent Fabius, les experts commençaient à spéculer sur les formules juridiques qui permettraient de contourner un vote négatif de la Grande-Bretagne ou d'un pays comme le Danemark, dans l'hypothèse d'un "oui" ferme et massif de la part des Etats fondateurs. Désormais, l'alliance des contraires, hélas courante en politique, oblige à envisager au moins la possibilité d'une victoire du "non" au référendum français de 2005.
La situation ne serait pas nécessairement tragique. Il y a exactement cinquante ans, le Parlement votait contre le projet de Communauté européenne de défense (CED) initié par Paris. Trois ans après était signé le traité de Rome. Il est vrai cependant que cet épisode a marqué durablement la construction européenne, puisqu'il eut pour conséquence d'en exclure au départ les affaires touchant à la sécurité, au bénéfice de l'Alliance atlantique. Ce serait en tout cas un miracle si, dans les deux prochaines années, le texte signé à Rome le 29 octobre était ratifié unanimement, ouvrant la voie à sa mise en œuvre effective à l'horizon 2007.
Je ne méconnais pas que les miracles peuvent se produire. On l'a vu avec le marché unique. Mais l'hypothèse la plus vraisemblable est que le débat constitutionnel se poursuivra encore pendant plusieurs années ; qu'il faudra vivre dans le cadre du traité de Nice plus longtemps qu'on ne l'aurait souhaité ; qu'en parallèle on devra améliorer la gouvernance économique et sociale dans l'espace de l'euro, mais aussi assimiler les élargissements déjà acquis, tout en négociant avec la Croatie et surtout avec la Turquie. Tout cela promet bien des rebondissements.
Un coup d'œil sur une mappemonde fait ressortir les lacunes manifestes de l'Union européenne : manquent la Norvège, dont la population a déjà par deux fois rejeté l'adhésion ; la Suisse, qui n'est toujours pas disposée à être candidate ; et - là se situe la véritable difficulté - la partie encore malade de l'ex-Yougoslavie (Serbie - avec la question lancinante du Kosovo -, Monténégro, Macédoine) sans oublier la très arriérée Albanie. On ne risque pas de se tromper en prévoyant que les affaires balkaniques nous occuperont sérieusement dans les quelque dix ou vingt prochaines années.
INCERTITUDE EXTRÊME
Dans ces conditions, peut-on envisager, au cours de cette période, de nouveaux élargissements ? Sans doute oui pour un pays comme la Norvège s'il changeait finalement d'avis. Mais, autrement, l'incertitude est devenue extrême. Ainsi Jacques Chirac a-t-il annoncé une modification de la Constitution française qui imposerait, au-delà de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Croatie, de procéder par voie référendaire pour tout élargissement ultérieur, ce qui vaudrait par exemple le jour venu pour la Serbie. Le temps des ratifications à la sauvette par des Parlements dociles semble révolu.
Pour compliquer les choses, ce n'est pas au sujet des pays précédemment cités que la demande commence à se manifester pour un élargissement futur. Ce n'est pas non plus du côté de nos voisins arabes du Moyen-Orient ou du Bassin méditerranéen, quoi qu'en disent les adversaires de la candidature turque. L'horizon qui est en train de se dessiner, c'est l'Ukraine.
Les Estoniens, les Lettons, les Lituaniens et bien entendu les Polonais, ou encore, au sud, les Roumains, ne se sentent pas à l'aise avec la perspective d'une reconstitution partielle de l'espace soviétique. Dans l'immédiat, les uns et les autres ne peuvent que se résigner au fait d'une Biélorussie soumise à la férule de l'autocrate Alexandre Loukachenko - lequel vient de prendre ses dispositions pour rester président à vie, avec le soutien au moins tacite de Moscou - tout en reprochant, plus ou moins vivement selon les cas, à l'Union européenne de ne pas utiliser les leviers à sa disposition afin d'en limiter les conséquences les plus néfastes, alors que le gouvernement américain a pris des mesures pour soutenir ouvertement l'opposition au dictateur.
Mais surtout, face à une situation jugée encore fluide en Ukraine, certains voudraient que nous indiquions clairement à ce pays qu'il a potentiellement sa place dans notre club. La Pologne, désormais l'un des grands de l'Europe, adopte sur ce point une attitude militante. Et, de même que pour le précédent turc, on peut s'attendre à une pression croissante de la part des Etats-Unis. Vu de Washington en effet, il faut continuer à affaiblir la Russie. A cette fin, le détachement de l'Ukraine et de la Biélorussie et leur incorporation dans les institutions euro-atlantiques seraient un coup de maître.
L'Ukraine est donc le prochain enjeu géopolitique. Le débat n'a pas encore véritablement commencé, et l'on peut prévoir qu'il sera dur et idéologiquement très chargé.
En l'état actuel des choses, trois remarques me paraissent s'imposer. La première est que toute comparaison entre les cas ukrainien et turc est trompeuse. Du point de vue géographique, il est évident que l'Ukraine est européenne. Mais aucun gouvernement ukrainien n'a encore manifesté explicitement sa volonté d'adhérer à l'Union, et surtout n'a entrepris la moindre réforme pour donner un sens à pareille démarche. L'élection de Viktor Iouchtchenko, le challenger du "candidat des Russes" Viktor Ianoukovitch, aurait-elle pour conséquence de lever vraiment l'ambiguïté ?
Le rapport des forces politiques en Ukraine, l'importance de la population russe (30 %) permettent d'en douter, au moins à court terme. En conséquence - et c'est la seconde remarque -, toute initiative unilatérale de la part de l'Union européenne manquerait d'autant plus de consistance que la tendance actuelle, pour les raisons précédemment exposées, est au freinage drastique de son élargissement. Enfin, aucune position par rapport à l'Ukraine - surtout en l'absence d'une ligne crédible de la part des dirigeants de Kiev - ne peut être définie en ignorant la Russie et la sensibilité de sa population.
POLITIQUE AMBITIEUSE
Le débat qui s'annonce porte en fait sur l'organisation du continent européen dans son ensemble. Il serait dangereux de l'engager en termes conflictuels vis-à-vis de la Russie et donc de lutte pour des sphères de pouvoir ou d'influence.
L'avenir de l'Ukraine, comme celui de la Russie elle-même, dépend d'abord de sa propre capacité à se réformer et à s'engager sur la voie d'un véritable développement économique et social. L'Union européenne peut et doit l'aider significativement, dans le cadre d'une politique de voisinage raisonnablement ambitieuse. Quant à la Russie, il lui appartient de son côté de démontrer qu'un espace économique commun avec l'Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan serait autre chose que la constitution d'un ensemble de type soviétique, sur des bases réduites.
A long terme, seuls le développement économique et la démocratisation de l'ensemble du continent permettront de surmonter les divisions qui subsistent encore et les craintes qu'elles suscitent. C'est cet avenir-là que les uns et les autres doivent préparer avec sagesse.
Thierry de Montbrial
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 30.10.04
Europe : après la Turquie, l'Ukraine ?
LE MONDE | 29.10.04
L'Ukraine est le prochain enjeu géopolitique de l'Union Européenne. Son avenir dépend d'abord de sa propre capacité à se réformer et à s'engager sur la voie d'un véritable développement économique et social.
La question de l'adhésion de la Turquie marque un tournant dans l'histoire, encore jeune, de l'Union européenne. Aucune perspective d'élargissement n'a jamais suscité autant de passions.
Avec l'ouverture hautement probable des négociations entre Bruxelles et Ankara s'ouvre une nouvelle phase, après celle dominée par les conséquences de l'écroulement de l'empire soviétique. Notre Communauté est passée de 12 à 25 membres (bientôt 27 avec la Roumanie et la Bulgarie, sans compter ultérieurement la Croatie). Elle a changé de nom et de nature.
La phase qui s'achève a également vu aboutir l'extraordinaire projet de la monnaie unique, stimulé par le sentiment que seul le succès d'une aussi grande entreprise permettrait de relever les défis du changement du système du monde.
La nouvelle phase sera dominée par le processus de digestion des gigantesques transformations des quinze dernières années. Les prochains mois seront largement occupés par le problème constitutionnel et par le destin du traité issu des travaux de la Convention présidée par Valéry Giscard d'Estaing.
A la date d'aujourd'hui, la probabilité d'une ratification par chacun des Vingt-Cinq est faible. Avant la prise de position de Laurent Fabius, les experts commençaient à spéculer sur les formules juridiques qui permettraient de contourner un vote négatif de la Grande-Bretagne ou d'un pays comme le Danemark, dans l'hypothèse d'un "oui" ferme et massif de la part des Etats fondateurs. Désormais, l'alliance des contraires, hélas courante en politique, oblige à envisager au moins la possibilité d'une victoire du "non" au référendum français de 2005.
La situation ne serait pas nécessairement tragique. Il y a exactement cinquante ans, le Parlement votait contre le projet de Communauté européenne de défense (CED) initié par Paris. Trois ans après était signé le traité de Rome. Il est vrai cependant que cet épisode a marqué durablement la construction européenne, puisqu'il eut pour conséquence d'en exclure au départ les affaires touchant à la sécurité, au bénéfice de l'Alliance atlantique. Ce serait en tout cas un miracle si, dans les deux prochaines années, le texte signé à Rome le 29 octobre était ratifié unanimement, ouvrant la voie à sa mise en œuvre effective à l'horizon 2007.
Je ne méconnais pas que les miracles peuvent se produire. On l'a vu avec le marché unique. Mais l'hypothèse la plus vraisemblable est que le débat constitutionnel se poursuivra encore pendant plusieurs années ; qu'il faudra vivre dans le cadre du traité de Nice plus longtemps qu'on ne l'aurait souhaité ; qu'en parallèle on devra améliorer la gouvernance économique et sociale dans l'espace de l'euro, mais aussi assimiler les élargissements déjà acquis, tout en négociant avec la Croatie et surtout avec la Turquie. Tout cela promet bien des rebondissements.
Un coup d'œil sur une mappemonde fait ressortir les lacunes manifestes de l'Union européenne : manquent la Norvège, dont la population a déjà par deux fois rejeté l'adhésion ; la Suisse, qui n'est toujours pas disposée à être candidate ; et - là se situe la véritable difficulté - la partie encore malade de l'ex-Yougoslavie (Serbie - avec la question lancinante du Kosovo -, Monténégro, Macédoine) sans oublier la très arriérée Albanie. On ne risque pas de se tromper en prévoyant que les affaires balkaniques nous occuperont sérieusement dans les quelque dix ou vingt prochaines années.
INCERTITUDE EXTRÊME
Dans ces conditions, peut-on envisager, au cours de cette période, de nouveaux élargissements ? Sans doute oui pour un pays comme la Norvège s'il changeait finalement d'avis. Mais, autrement, l'incertitude est devenue extrême. Ainsi Jacques Chirac a-t-il annoncé une modification de la Constitution française qui imposerait, au-delà de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Croatie, de procéder par voie référendaire pour tout élargissement ultérieur, ce qui vaudrait par exemple le jour venu pour la Serbie. Le temps des ratifications à la sauvette par des Parlements dociles semble révolu.
Pour compliquer les choses, ce n'est pas au sujet des pays précédemment cités que la demande commence à se manifester pour un élargissement futur. Ce n'est pas non plus du côté de nos voisins arabes du Moyen-Orient ou du Bassin méditerranéen, quoi qu'en disent les adversaires de la candidature turque. L'horizon qui est en train de se dessiner, c'est l'Ukraine.
Les Estoniens, les Lettons, les Lituaniens et bien entendu les Polonais, ou encore, au sud, les Roumains, ne se sentent pas à l'aise avec la perspective d'une reconstitution partielle de l'espace soviétique. Dans l'immédiat, les uns et les autres ne peuvent que se résigner au fait d'une Biélorussie soumise à la férule de l'autocrate Alexandre Loukachenko - lequel vient de prendre ses dispositions pour rester président à vie, avec le soutien au moins tacite de Moscou - tout en reprochant, plus ou moins vivement selon les cas, à l'Union européenne de ne pas utiliser les leviers à sa disposition afin d'en limiter les conséquences les plus néfastes, alors que le gouvernement américain a pris des mesures pour soutenir ouvertement l'opposition au dictateur.
Mais surtout, face à une situation jugée encore fluide en Ukraine, certains voudraient que nous indiquions clairement à ce pays qu'il a potentiellement sa place dans notre club. La Pologne, désormais l'un des grands de l'Europe, adopte sur ce point une attitude militante. Et, de même que pour le précédent turc, on peut s'attendre à une pression croissante de la part des Etats-Unis. Vu de Washington en effet, il faut continuer à affaiblir la Russie. A cette fin, le détachement de l'Ukraine et de la Biélorussie et leur incorporation dans les institutions euro-atlantiques seraient un coup de maître.
L'Ukraine est donc le prochain enjeu géopolitique. Le débat n'a pas encore véritablement commencé, et l'on peut prévoir qu'il sera dur et idéologiquement très chargé.
En l'état actuel des choses, trois remarques me paraissent s'imposer. La première est que toute comparaison entre les cas ukrainien et turc est trompeuse. Du point de vue géographique, il est évident que l'Ukraine est européenne. Mais aucun gouvernement ukrainien n'a encore manifesté explicitement sa volonté d'adhérer à l'Union, et surtout n'a entrepris la moindre réforme pour donner un sens à pareille démarche. L'élection de Viktor Iouchtchenko, le challenger du "candidat des Russes" Viktor Ianoukovitch, aurait-elle pour conséquence de lever vraiment l'ambiguïté ?
Le rapport des forces politiques en Ukraine, l'importance de la population russe (30 %) permettent d'en douter, au moins à court terme. En conséquence - et c'est la seconde remarque -, toute initiative unilatérale de la part de l'Union européenne manquerait d'autant plus de consistance que la tendance actuelle, pour les raisons précédemment exposées, est au freinage drastique de son élargissement. Enfin, aucune position par rapport à l'Ukraine - surtout en l'absence d'une ligne crédible de la part des dirigeants de Kiev - ne peut être définie en ignorant la Russie et la sensibilité de sa population.
POLITIQUE AMBITIEUSE
Le débat qui s'annonce porte en fait sur l'organisation du continent européen dans son ensemble. Il serait dangereux de l'engager en termes conflictuels vis-à-vis de la Russie et donc de lutte pour des sphères de pouvoir ou d'influence.
L'avenir de l'Ukraine, comme celui de la Russie elle-même, dépend d'abord de sa propre capacité à se réformer et à s'engager sur la voie d'un véritable développement économique et social. L'Union européenne peut et doit l'aider significativement, dans le cadre d'une politique de voisinage raisonnablement ambitieuse. Quant à la Russie, il lui appartient de son côté de démontrer qu'un espace économique commun avec l'Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan serait autre chose que la constitution d'un ensemble de type soviétique, sur des bases réduites.
A long terme, seuls le développement économique et la démocratisation de l'ensemble du continent permettront de surmonter les divisions qui subsistent encore et les craintes qu'elles suscitent. C'est cet avenir-là que les uns et les autres doivent préparer avec sagesse.
Thierry de Montbrial
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 30.10.04